Anatomy. Love Story by Dana Schwartz

Auteur:Dana Schwartz [Schwartz, Dana]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2022-07-01T10:40:57+00:00

20

Il fallut laver à deux reprises les cheveux de Hazel avec le savon raffiné au cynorhodon de sa mère et les brosser pendant une heure, mais Iona réussit finalement à la rendre présentable à temps. Elle arriva certes en retard à Almont House, mais pas au point que cela soit perçu comme une grossièreté impardonnable. Elle avait laissé sa bonne serrer les lacets de son corset de façon à pouvoir entrer dans sa robe en velours bleu ornée de dentelle, et même elle devait bien admettre – car elle aperçut son reflet dans le miroir du vestibule des Almont – qu’elle lui allait bien. La couleur bleu nuit faisait ressortir le rose de ses joues et le brillant de ses yeux, bien qu’elle eût veillé toute la nuit.

– Cousine ! s’exclama Bernard en bondissant à sa rencontre à l’entrée de la salle de bal et en lui présentant son bras. Vous voilà enfin. Bienvenue. Vous êtes, eh bien, splendide.

Hazel dissimula un bâillement sous un sourire poli. Elle posa gracieusement sa main gantée dans le creux du coude de Bernard et se laissa escorter dans la pièce chauffée et vivement éclairée, remplie de corps et de crinolines qui tourbillonnaient. Des centaines de bougies se dressaient, droites comme des soldats, dans les lustres dorés. En un clin d’œil, la jeune femme se retrouva avec un carnet de bal autour du poignet et une flûte de champagne à la main.

Depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu, au théâtre, Gibbs Hartwick-Ellis s’était laissé pousser une pathétique petite moustache. Il tentait de s’extraire poliment d’une conversation avec ce rustre de baron Walford qui, penché en avant, l’avait pour ainsi dire acculé contre le mur.

Hazel lui décocha un regard compatissant. Elle avait été placée à côté de Walford pendant l’un des dîners organisés par ses parents, et même après avoir étudié des cadavres, le souvenir de son haleine lui donnait encore des haut-le-cœur – sans parler de son œil de verre qui semblait rouler dans son orbite, comme animé d’une volonté propre, et aurait donné la chair de poule à n’importe qui.

Cecilia n’était pas en vue. En revanche, il était impossible de ne pas remarquer Mme Caldwater, dont les éclats de rire haut perchés faisaient presque vibrer le cristal des verres. Hazel avait l’intention de faire rapidement le tour de la pièce pour se faire voir, puis de retourner au cadavre qui l’attendait dans son cachot. (Elle avait oublié de faire un détour par la glacière du domaine : d’ici à quelques heures, la chair commencerait à se désintégrer et elle ne pourrait plus rien en tirer.)

Elle pourrait prétexter une migraine. Ou dire qu’elle avait la tête qui tournait. Personne n’avait l’air de se poser de questions sur les malaises féminins ni sur le phénomène culturel plus large que représentait l’évanouissement des femmes au sein d’une société entière. Un évanouissement était vite expliqué : il faisait soit trop froid soit trop chaud pour la saison, ou alors sans doute le corset de la dame était-il trop serré.

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